Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 mai 2010 3 12 /05 /mai /2010 19:39


C'est l'histoire de deux frères. Des frères jumeaux, même. Mais ce ne sont pas des vrais jumeaux, ils ne se ressemblent pas du tout.

 

Celui qui est sorti le premier, il est tout roux et tout velu, comme une chèvre (enfin, un bouc, vu que c'est un garçon).

 

Ceci dit, les chèvres vont jouer un grand rôle dans cette histoire…

 

Le premier, il s'appelle Esaü, mais on le surnomme Edom (ce qui veut dire le roux en hébreu).

 

L'autre, c'est Jacob. Il est tout mignon, tout doux, pas de poils partout comme son frère : lisse et doux comme une nectarine.

 

Ces deux-là, ils ont beau être jumeaux, ils ne s'entendent pas du tout, du tout. Déjà dans le ventre de leur mère, ils se chamaillaient.

 

D'ailleurs, ça a été une bagarre épique pour savoir lequel des deux sortirait en premier. Mais comme Esaü était le plus costaud, c'est lui qui a gagné.

 

Jacob, pour être certain de ne pas se paumer, tenait fermement le talon de son frère dans son poing fermé.

 

Si bien qu'ils sont arrivés avec pas grand-chose d'intervalle, un peu comme lors d'une arrivée au sprint au tour de France.

 

Mais comme il faut bien un vainqueur, c'est Esaü qui est déclaré gagnant, donc aîné. Pour l'héritage, ça comptait en ce temps-là…

 

Tout va à peu près bien durant leur enfance et leur adolescence, leurs parents, Isaac et Rebecca étant très stricts sur l'éducation.

 

Dès qu'un des deux essayait de tabasser son jumeau, paf, une calotte parentale leur tombait sur le coin du pif et leur ôtait le goût de recommencer pour un petit temps.

 

En grandissant, Esaü le roux devient un passionné de chasse : il pouvait partir la journée entière, de l'aube au crépuscule, à cavaler derrière le gibier.

 

Jacob, lui, était plutôt casanier : il préférait rester dans la tente avec sa môman chérie.

 

Parce que, évidemment, c'était le préféré de sa mère : il adorait rester près d'elle dans la cuisine, la regarder préparer à manger, et apprendre des tas de recettes délicates et très bonnes.

 

Quant à Esaü, c'était le préféré de son père, qui adorait le gibier.

 

Un jour qu'Esaü rentre de la chasse, bien tard dans la journée, le ventre creux, et passablement épuisé,

 

et bredouille en plus, ce qui le mettait de très mauvais poil (pour un poilu comme lui, c'était visible à l'œil nu)

 

il voit son frère qui, justement, venait de préparer un petit salé aux lentilles.

 

Il adore ça, Esaü, le petit salé aux lentilles, presque autant que le chevreuil aux marrons et aux champignons…

 

Il dit à Jacob : "Donne-moi de ton petit salé aux lentilles : il a l'air super-bon, et je crève de faim."

 

Jacob lui répond : "Ok, mais en échange, tu me donnes ton droit d'aînesse. Comme ça, c'est moi qui hériterai de tout à la mort du père".

 

"Tu te fous de moi?", demande Esaü qui se met déjà en pétard.

 

"C'est à prendre ou à laisser, mon vieux."

 

"Bon, de toute façon, si je ne mange rien dans la minute qui suis, je vais crever. Donc, mon droit d'aînesse, hein, à quoi il me servira? Bon, Ok, je te le vends, mais file-moi ces lentilles, et vite!"

 

Jacob lui sert donc une généreuse portion, non sans lui avoir fait signer une promesse de cessation de droit d'aînesse.

 

En prime, comme il est quand même fin gourmet, Jacob donne à son frère une jolie tranche de pain tout frais, et un pichet de Sancerre.

 

Esaü mange et boit tout ça, puis oublie complètement cette histoire de droit d'aînesse.

 

Le temps passe. Sur le coup des 40 ans, Esaü décide de se marier. Comme il avait un peu traîné, il se dit que, tant qu'à faire, autant ne pas faire les choses les choses à moitié.

 

Du coup, il épouse deux femmes en même temps (c'était permis, à l'époque).

 

Deux femmes de la même tribu, celle des Hittites.

 

Mais il reste habiter chez ses parents, avec ses deux femmes.

 

L'ambiance devient vite insupportable pour ses parents Isaac et Rebecca, avec ces deux belles-filles qui n'arrêtent pas de se chamailler et qui veulent toutes les deux diriger la maison et ses habitants.

 

Si bien qu'Isaac se met à décliner.

 

Il devient d'un coup très vieux et presque aveugle, et il sent que ses jours sont comptés.

 

(même si ce n'étaient pas ses femmes à lui, Isaac se dit que ces deux-là, elles auront abrégé sa vie d'un bon bout).

 

Et il se dit aussi qu'avant de quitter définitivement ce bas monde, il se taperait bien une dernière fois un bon morceau de gibier comme il les aime tant.

 

Il appelle donc Esaü, et lui dit : "Pfff, j'suis vieux, et je ne vais pas tarder à passer l'arme à gauche.

 

Alors, en parlant d'arme, attrape ton arc et tes flèches, et va vite me chasser du gibier, que je puisse en manger une dernière fois.

 

Après, tu le prépareras comme je l'aime, tu me l'apporteras, je le mangerai, et je te bénirai avant de mourir."

 

Esaü obtempère à son père (à sa mère, il obtem-mère, mais avec moins d'empressement), et part dans la campagne à la recherche de chevreuil.

 

Mais sa mère Rebecca avait tout entendu de la conversation.

 

Et ça la chiffonne, parce que c'est Jacob, son préféré.

 

Or, si Isaac donne la bénédiction à Esaü, celle-ci passera sous le nez de son petit préféré (les bénédictions paternelles, ça ne se donne qu'une seule fois).

 

En femme rusée (pléonasme), elle appelle son fils Jacob, et lui dit : "J'ai entendu ce que veut faire ton père : il a l'intention de donner sa bénédiction à ton frère.

 

(ce qui est dans la logique des choses, et dans la tradition, mais la logique et Rebecca, ça fait deux, et la tradition, si c'est pour préserver son fils chéri, elle s'assoit dessus).

 

Alors, écoute-moi bien, tu vas faire tout ce que je te dis sans discuter, et on va les avoir, tous les deux, ton vieux père et ton grand frère.

 

Va chercher dans le troupeau deux jolis chevreaux, tue-les et rapporte-les moi. Je les préparerai ensuite comme ton père aime le gibier.

 

De toute façon, dans son état, et avec tout le piment que je vais mettre, il ne fera pas la différence entre de la chèvre et du chevreuil.

 

Après, tu lui apporteras le plat, il mangera et te bénira avant de mourir."

 

Pas conne, la Rebecca. Jacob n'est pas emballé-emballé : tuer des chèvres, surtout des chevreaux, il n'aime pas ça du tout.

 

Tout ce sang qui gicle, ça le dégoûte. Mais bon, c'est un ordre de sa maman, il ne va pas commencer à désobéir à 40 ans passés, hein?

 

Il émet quand même une objection de principe : "Oui mais, le père, il a beau être presque aveugle, il a quand même encore des mains et un nez.

 

S'il se mettait à vouloir me toucher le bras, hein? Il se rendrait vite compte que ce n'est pas le bras de ce velu d'Esaü, j'ai pas un poil sur les bras!

 

Et il trouverait bizarre que ce cochon d'Esaü, qui se douche une fois toutes les olympiades, sente soudain mon savon à la lavande…

 

Ça ne serait pas une bénédiction, mais une malédiction, oui, que je recevrais en retour!"

 

"tkt, répond sa mère, j'ai tout prévu, même ça. Maintenant, arrête de discuter, et obéis gentiment à ta maman chérie."

 

Bon, Jacob y va, zigouille deux chevreaux nouveau-nés, bien jolis et bien tendres.

 

Ça lui fend un peu le cœur, mais si c'est pour s'assurer une bénédiction, hein, il ne va pas tomber dans une stupide sensiblerie envers un animal, quand même, ce serait trop bête.

 

Il ramène les chevreaux morts à sa mère, qui les apprête comme si c'était du chevreuil, avec des marrons et des champignons.

 

(comme elle est un peu espiègle, les champignons, c'est des trompetttes-de-la mort et des oreilles-de-judas", qu'elle met.)

 

Ensuite, elle va chercher au linge sale des vêtements d'Esaü (donc, très très sales et très très puants), et elle dit à Jacob de les enfiler.

 

Jacob a un haut-le-cœur : "Quoi, je dois mettre ces trucs cradingues?

 

Mais ils tiendraient debout tout seuls, tellement ils sont raides de crasse! Je vais me choper des poux, si je dois mettre ces saloperies sur moi!"

 

"C'est les poux, ou pas de bénédiction ni d'héritage, répond Rebecca. À toi de voir ce que tu préfères…"

 

Il est peut-être délicat, Jacob, mais il sait réfléchir : il se dit que des poux, tu peux toujours les faire partir, mais une bénédiction et un héritage, une fois qu'ils sont pour quelqu'un d'autre, va-t'en toujours essayer des les récupérer.

 

Alors bon, il enfile les vêtements tout dégueus de son frère.

 

Puis sa mère prend la peau des chevreaux, et la pose sur les bras et sur le cou de Jacob, et l'expédie chez son père avec son ragoût de pseudo-gibier et un gros bout de pain.

 

Voilà Jacob qui frappe à la port de la chambre de son père : "Toc-toc. C'est moi, papa."

 

(une phrase stupide, mais qui fera son chemin au hit-parade des phrases stupides l'humanité.)

 

"Qui moi?" répond Isaac. "Ben moi, quoi, Esaü, ton fils aîné et préféré", qu'il répond Jacob.

 

Il est tout rouge de son mensonge, mais il pense à son héritage, et ça lui enlève un peu de ses scrupules.

 

"Voilà, qu'il continue, je suis revenu de la chasse, et je t'ai préparé du chevreau… euh, du chevreuil (merde, il a failli se couper!) comme tu l'aimes.

 

Tiens, je vais t'aider à te lever, assieds-toi et mange, et après, tu me béniras.

 

(et ensuite, tu peux crever", qu'il se dit en lui-même.)

 

Isaac lui dit : "Comme tu as trouvé vite ce gibier, mon fils, je suis fier de toi, tu es vraiment un bon chasseur!"

 

"C'est ton Dieu et mon Dieu qui m'a porté chance, papa."

 

Moi, je serais Dieu, je ne serais pas ravi qu'on se serve de moi comme ça pour dire des choses pas très catholiques.

 

Mais bon, il devait avoir méchamment l'habitude, Dieu, qu'on prenne son nom en vain :

 

ce n'était ni la première fois, et ce ne sera pas la dernière, qu'on fait et dit des choses pas très catholiques en se cachant derrière son nom…

 

"Viens là plus près, mon fils, que je te touche. Tu es bien mon fils Esaü chéri, hein?"

 

Jacob s'approche, tout heureux que sa mère ait pensé au coup de la peau de chevreau sur ses bras.

 

Isaac le palpe, et semble rassuré : "Ah, ça va, c'est bien toi, mon Esaü! C'est bizarre, on aurait dit que c'était plutôt la voix de ton frère, mais tes poils ne laissent aucun doute."

 

Mais il lui reste un soupçon de doute (il est vieux, presque aveugle, mais pas complètement débile).

 

"C'est bien toi, mon fils Esaü?". "Oui, mon papounet, c'est bien moi. Tu sais bien que Jacob ressemble à une femmelette, il n'a pas de poils sur les bras (ni ailleurs, d'ailleurs)."

 

Il ment bien Jacob, je trouve, qui arrive à dire du mal de lui-même pour faire croire qu'il est son frère.

 

Bon, Isaac se met à manger, trouve le "chevreuil" très bon (un peu trop épicé, peut-être, mais les champignons sont extras, surtout les trompettes-de-la-mort).

 

Puis il dit à Esaü (enfin, il croit qu'il le dit à Esaü) :

 

"Viens là dans mes bras, mon fils, que je te bénisse. Après, je pourrai mourir."

 

Jacob s'approche, son père le prend dans ses bras. Isaac hume la bonne odeur de bouc puant qu'Esaü se trimballe depuis sa dernière douche, et il s'exclame :

 

"Oh oui, tu es bien mon fils Esaü, avec ta bonne odeur de gibier et de gars pas lavé! Pas comme cette mauviette de Jacob, qui sent la lavande pire qu'une nana qui va à un rendez-vous d'amour!"

 

Et il le bénit d'une bénédiction des plus grandioses.

 

A peine Isaac a fini de bénir Jacob, que voilà enfin Esaü qui rentre de la chasse, ignorant tout de ce qui vient de se passer.

 

Esaü se met à préparer un plat de gibier (du vrai, celui-là) pour son père, et va le lui apporter.

 

En entrant, il dit : "Tiens, papounet, lève-toi, mange de mon bon gibier, puis après, bénis-moi."

 

Isaac se dit qu'il a comme une impression de déjà-vécu. Seraient-ce les prémisses du début de la fin?

 

Il dit : "Qui es-tu, mon fils?"

 

"Ben, c'est moi, Esaü! Je rentre de la chasse, et je t'ai fait un bon ragoût de chevreuil, comme tu avais demandé!"

 

Il se dit que son père devient gaga, et qu'il est temps qu'il lui file sa bénédiction, sans quoi le vieux va mourir sans la lui avoir donnée.

 

"Attends, c'est quoi, ces histoires?, explose Isaac. C'est qui alors, qui, il n'y a pas 10 minutes, m'a servi un plat de gibier en prétendant l'avoir tué à la chasse?

 

J'ai tout mangé, puis je l'ai béni. J'ai la vague impression que je me suis fait avoir, sur ce coup-là…"

 

Quand il entend ça, Esaü est dans tous ses états : il plonge littéralement sur son père, et lui hurle :

 

"Hé, bénis-moi aussi! C'est quand même pas de ma faute si ce crétin de Jacob t'a fait une entourloupe!"

 

(Esaü a utilisé une expression nettement plus vulgaire, que la décence nous interdit de reproduire ici).

 

"Ah ben non, désolé, je ne peux pas : une bénédiction, c'est unique.

 

J'ai béni ton frère (il l'a eue à l'arrache soit, mais il l'a eue), maintenant, c'est too late pour toi, mon pauvre…"

 

Esaü est vert de rage, rouge de honte, blanc de colère, bref, c'est un arc-en-ciel à lui tout seul, à cause du coup-fourré que vient de lui faire son frère.

 

Il se dit : dès que mon père est mort, je tue mon frère. Je le ferais bien avant, mais ça tuerait mon père si je tuais mon frère avant qu'il meure (mon père, hein, pas mon frère).

 

Bref, il a des raisonnements un peu tordus, mais il est bien décidé à passer à l'action.

 

Reste à savoir comment.

 

Laissons-le réfléchir tranquillement. On verra une autre fois comment il parvient à ses fins (ou pas).

Partager cet article
Repost0

commentaires

H
Je viens de tomber sur cette succulente histoire, j'ai bien rigolé ! à quand la suite ? Déjà deux ans de passés.
Répondre
B
<br /> La liberté anachronique et culturelle n'en rend l'anecdote que plus savoureuse mais je découvre qu'il y aurait une suite ! Va falloir que je fourrage dans tout le blog pour la lire. Je sens que je<br /> me prépare de grands moments...<br /> <br /> <br />
Répondre